Il se pourrait qu'il ait plu...
Robert Greenham
est un petit-fils différent des autres. En effet, sa grand-mère,
Mabel Llewellyn,
répondit à une annonce pour se voir confier, pour
la première fois de sa vie, le poste de gouvernante. Elle
avait vingt-quatre ans, nous étions en 1903.
Le rédacteur de l'offre d'emploi était
Monsieur Winter*, le beau-frère de Barrie.
Lorsqu'il reçut Mabel, il était accompagné
d'un autre homme, de petite taille. Il mena l'entretien. Mabel,
qui aimait beaucoup lire, avait emporté un livre avec elle.
Il s'agissait du Petit
Oiseau blanc. L'homme qui était demeuré
jusque là silencieux l'aperçut et le désigna
en disant ces mots : "C'est moi !"
J'aurais donné cher pour être à sa place et
entendre cette voix m'assurer de sa présence et de son
identité !
En vérité, ce n'était pas Monsieur Winter
qui sollicitait les services de Mabel, mais Barrie en personne.
Winter n'avait fait que rédiger l'annonce...
C'est ainsi que Mabel entra au service des Barrie, dans leur maison
secondaire... à Black Lake Cottage, près de Farnham
dans le Surrey, Tilford road.
Et l'auteur de nous relater sa vie au quotidien,
mêlée à ses observations du couple Barrie.
On voit passer de grands auteurs dans cette maison : Thomas
Hardy, George Meredith (J.M.B. l'estimait
grandement et il faut lire l'adorable et minuscule livre qu'il
a écrit, juste après sa mort, A Tribute to George
Meredith), et d'autres... Le chien Luath, le successeur de
Porthos, n'est pas en reste. Et la vie passe. Mabel travaille
beaucoup ; ses maîtres sont plutôt attentionnés
et généreux. Mary ne pense qu'à son magnifique
jardin. James Matthew écrit. Un chef-d'oeuvre se prépare
dans l'ombre et le clair-obscur de ces vies.
Le grand mérite de ce
livre est de nous donner autant à vivre les événements
qu'à les penser. Le style est énergique et gai.
Il me paraît difficile, en toute objectivité, de
ne pas apprécier le fond et la forme.
Andrew Birkin,
auteur de The Lost Boys, a écrit un avant-propos au
volume :
"Le petit portrait de sa grand-mère, Mabel
Llewellyn, par Robert Greenham est bien plus qu'une délicieuse
promenade dans l'antichambre du monde édouardien,
car il jette une lumière nouvelle sur ses employeurs,
J.M. Barrie et son épouse malheureuse, Mary. Mabel
devint la gouvernante des Barrie à Blake Lake Cottage
[leur maison de campagne] durant le printemps de l'année
1903 - deux ans après le terrible été
1901 [Cf. The
Boy Castaways], lorsque les enfants
Davies jouaient aux Boy Castaways derrière
l'appareil photographique de Barrie. Si elle manqua le
prélude de Peter Pan, elle arriva juste
à temps pour l'acte principal, car c'est sous sa
surveillance que Barrie écrivit finalement "ce
terrible chef-d'oeuvre".
Avec une humeur toute barrienne, Robert a choisi d'agir
comme s'il était le copiste de sa grand-mère,
ce qui permet à Mabel de raconter cette histoire
avec ses propres mots, bien qu'à travers son petit-fils.
Cela l'a conduit à effectuer un grand nombre de
recherches, ce qui par voie de conséquence a rendu
possible l'exhumation de faits ignorés jusqu'à
présent, aussi bien que des hypothèses très
plausibles - dans le respect de Barrie et de ses créations.
La possible origine de l'abominable pirate, le Capitain
Crochet, n'étant pas la moindre d'entre elles.
Mais c'est Mabel Llewellyn elle-même qui est sur
le devant de la scène, avec raison, puisqu'il s'agit
de son histoire et non pas celle de Barrie. Sa grande
chance fut d'avoir un employeur très célèbre
- et généreux - mais aussi d'avoir un biographe
plein de fantaisie tout aussi généreux (bien
que moins connu). J'espère que son histoire apportera
aux autres autant de plaisir qu'elle m'en a offert.
Pays de Galles, mai 2005"
|
Le titre ravissant de ce livre fort bien documenté
est à l'image de son contenu : piquant, intrigant, chaleureux,
parfois humoristique. Il suffit de lire les deux premières
pages pour se faire une idée de la prose savoureuse de
l'auteur.
Le livre tire son titre d'une carte postale écrite par
Fred (le chauffeur des Barrie, vraisemblablement, bien que Robert
Greenham n'ait pu retrouver la trace de cet homme et confirmer
avec certitude cette hypothèse) à Mabel. Cette simple
carte-photographie sert de première, deuxième, troisième
et quatrième de couverture au livre.
Robert Greenham
a exploré son sujet avec sérieux, humour et émotion.
Il a exhumé des registres d'état civil et il nous
offre plusieurs informations de première importance qu'il
est le seul à avoir mis à jour pour certaines
d'entre elles.
- Premièrement, en ce qui concerne la jeune Margaret
Henley, fille de l'écrivain W. E. Henley
et de son épouse Hannah, il a corrigé les nombreuses
erreurs de la plupart des biographes, qui s'accordaient à
penser qu'elle était morte à l'âge de
six ou sept ans (j'étais la première à
le croire !). Il émet aussi cette idée : "D'une
manière ou d'une autre, Barrie décida de fixer
et d'immortaliser le prénom de Wendy et il semble qu'il
prit cette décision à la fin de l'année
1903. Qu'est-ce qui précipita ce choix alors que Margaret
était morte presque dix ans auparavant ? Vingt-trois
jours après un diagnostic de méningite tuberculeuse,
la petite Margaret s'éteignit le 11 février
1894, âgée de simplement cinq ans et cinq mois.
(...) Je pense que cette décision de créer ce
nouveau prénom fut peut-être engendrée
par la mort du père de Margaret, dans le Surrey, en
juillet 1903. La mort de Henley affecta probablement beaucoup
Barrie, car en effet il était l'un de ses amis. Il
était originaire de Gloucester. Il avait contracté,
dans son enfance, la tuberculose et était devenu impotent.
En 1873, le bas de sa jambe gauche avait été
amputé. Il avait passé vingt mois de convalescence
à l'hôpital d'Edimbourg et ensuite il porta une
jambe de bois. En 1878, il se maria avec une jeune écossaise,
Hannah Johnson Boyle, à Midlothian. Pendant ce temps,
à Edinbourg, Henley devint ami avec un autre malade
de la tuberculose, Robert Louis Stevenson. Avec lui, il collabora
à la rédaction de quatre pièces au début
des années 1880. Ce fut Henley qui fournit à
Stevenson son inspiration pour la construction de son personnage
à la jambe de bois, Long John Silver, dans L'île
au trésor. Au cours de la fin des années
1880, Henley avait publié certains des premiers écrits
de Barrie dans le National Observer. Et Stevenson,
le héros de Barrie, était parti vivre dans les
îles du Pacifique sud, d'où il entreprit une
abondante correspondance avec Barrie jusqu'à
sa mort à Samoa en 1894. La mort de Henley a dû
raviver des souvenirs dans l'esprit de Barrie. Notamment celui
de Margaret et son "fwendy-wendy". Ce fut probablement
une manière de refermer sur lui-même un épisode,
qui serait immortalisé à travers la création
de Wendy. Il ajouta une émouvante touche à cette
création : pour la première de Peter
Pan, il demanda à ce que la
cape préférée de Margaret fut
copiée, d'après un portrait. Elle ferait partie
du costume de Wendy."
- Mary Ansell aurait menti à son mari au sujet de son
âge. En effet, elle prétendait avoir sept ans
de moins que Jimmy, alors qu'elle n'était sa cadette
que de dix mois ! Son lieu de naissance, Londres, Paddington,
était également pure fantaisie. En effet, elle
est née à Northwood, dans le Sussex. Robert
Greenham apporte une preuve formelle. Il note également
que Barrie a évoqué ce fait dans sa pièce
en un acte, Rosalind. "(...) never ask an actress's
age." [Ne demandez jamais à une actrice son âge]...
- Les origines du
Capitaine Crochet. Nous donnions déjà des
sources. Il ajoute une hypothèse de taille : après
des recherches, Robert Greenham est le premier à avancer
l'idée que James Hook était un personnage réel,
dont se serait inspiré Barrie. En effet, Allan
James Hook était le membre d'une équipe
adverse de cricket, l'Equipe des Artistes (the Frensham Artists).
En 1905, Barrie était très anxieux à
l'idée de perdre face à cette équipe
(il avait été vaincu les deux années
précédentes) et il engagea même de "véritables"
joueurs de cricket à cette occasion. A peine un an
auparavant, il créa le personnage de Crochet.
"Peter Pan était présent sur scène,
avec un immense succès, depuis environ six mois et
c'était au tour désormais du véritable
James Hook d'être vaincu. (...) Il vainquit les artistes
de Hook aussi sûrement que Peter Pan vainquit les pirates
de Hook."
- Il semble que le personnage et l'histoire d'Alice-Sit-By-the-Fire
ait été inspiré par une véritable
Alice. Alice Lamport, qui travaillait à Black Lake
Cottage.
- Concernant la mort de la mère de Mary Ansell, Robert
Greenham corrige une erreur répandue : Denis Mackail
écrivit que la mère de Mary Ansell était
morte au printemps de l'année 1906, mais en réalité
elle décéda le 8 janvier 1905. Elle souffrait
d'une sévère bronchite qui débuta le
lendemain de la première de Peter Pan. Cette précision,
ainsi que d'autres ont été ajoutées dans
les addenda du livre de Robert Greenham.
- Autre précision importante : "Contrairement
au récit de Barrie dans Margaret Ogilvy, le
jeune David Ogilvy Barrie n'est pas mort dans les heures qui
ont suivi son accident de patin à glace. L'examen du
certificat de décès révèle qu'il
est mort d'une "inflammation du cerveau" une semaine
après l'accident. Ceci peut ou non résulter
du fait que sa tête ait heurté la glace quand
il est tombé."
J'aimerais citer ce ravissant passage, p. 75
du livre, qui me plut infiniment :
"A chaque fois que
je revenais en pensée à l'année 1904, cela
m'attristait toujours de songer que le script original de la pièce
Peter Pan - l'oeuvre la plus durable et la plus célèbre
de Barrie, qui vit le jour su scène, au Duke of York's
Theater, à Londres, le 27 décembre 1904 - n'eût
pas été écrit dans la pièce qui jouxtait
ma cuisine. D'un autre côté, cela me titillait de
savoir que j'avais connu l'auteur à cette époque
et que The Boynes [la demeure des Winter, que j'ai visitée grâce à Robert !]
pouvaient être au moins crédité d'un mérite,
d'une participation à la création de Peter Pan.
Selon Madame Winter, la lampe de l'entrée, celle qui était
accrochée au plafond et qui était très travaillée
-une des lampes que j'étais chargée d'allumer chaque
soir - avait donné à Barrie son inspiration quant
à la manière de faire apparaître Tinker Bell
sur scène.
[Clichés que m'a offerts
Robert Greenham - cliquez sur les images pour les agrandir.]
La lampe était une
lanterne suspendue au plafond au moyen d'un crochet et par un
système de trois chaînes avec des poulies. Ainsi,
quand le réservoir à huile était descendu,
les verres colorés à six faces projetaient à
égale distance des ombres rosées. Quand la mèche
était allumée, un point de lumière blanche
apparaissait et grandissait en intensité, le point scintillant
de lumière faisant songer à une fée mourante.
Alors, quand la lumière s'élevait, l'ombre s'abaissait
tout autour, produisant un dessin mobile, constitué de
formes diversement colorées, d'abord sur le plafond et
puis irradiant vers l'extérieur et en bas, sur les quatre
murs. La lanterne se balancerait alors doucement et on pourrait
doucement la faire pivoter si quelqu'un en émettait le
désir ; le dessin projeté bougerait tout autour
de l'entrée. Cet effet pouvait être hypnotisant et
il ne manquait plus que les carillons invisibles et la poussière
de fée."
En lisant ce lisant, vous pourrez
aussi vous promener en imagination dans le magnifique jardin de
Mary Ansell Barrie, que Mabel (Robert) décrit si bien...
Il ne vous reste plus qu'à commander
ce livre et à le dévorer.
Revue élogieuse du livre ici :
Album
du livre : ici...
(Copyright Robert
Greenham)
*
Il s'est marié avec la plus jeune soeur de Barrie, Maggie.
Celle-ci devait épouser son frère, mais il mourut
trois semaines avant le mariage, d'une chute de cheval. L'animal
avait été offert au fiancé par Barrie en
guise de cadeau anticipé. Sans doute se sentit-il responsable
de ce décès. Avec le temps, Maggie s'épris
du frère de son fiancé. Une semblable histoire est
relatée dans Le Petit Oiseau blanc.
[Cf. le troisième extrait...]
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