Le monde de James Matthew Barrie


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Voyage à Londres sur les pas de James Matthew Barrie : mars 2007 - Part One

"La chose entière est la preuve que les personnes et les événements de notre propre enfance nous marquent de leur empreinte particulière : quand nous mourons, tout le reste disparaît et nous employons des mots que nous n'avions pas utilisés depuis soixante ans et nous voyons les vieux meubles et les visages d'autrefois qui semblent vivre de leur ancienne vie."

James Matthew Barrie, au chevet de sa mère mourante.
(Traduction C.-A. F. )

Ma carte au trésor :

Il est probable également que l'enfant vienne, au dernier moment, donner la main au vieillard pour l'aider à traverser la dernière étape du voyage.

Mon séjour de quatre jours fut un enchantement. Malgré la rapidité de ce voyage, j'ai vécu des moments intenses et une dilatation spatio-temporelle m'a permis de semer tous les cailloux qui étaient dans ma poche et d'en ramasser quelques-uns... et pas des moindres ! Définitivement, je crois que la chance est une déesse qu'il faut aguicher.

Mais je dois vous avouer que ce vendredi 23 mars 2007 demeurera l'un des plus beaux jours de ma vie depuis ma naissance et pas seulement parce que je me suis assise avec l'homme que j'aime dans le salon de l'ancienne maison de James Matthew Barrie. Oui, vous avez parfaitement lu. Miraculeusement, j'ai pu pénétrer dans cette maison. J'ai vécu une "terrible aventure" que je n'attendais pas et je suis persuadée que Jamie a guidé cet événement. Mais ce n'est qu'un épisode merveilleux de ce vendredi particulier. D'autres bonheurs me furent offerts.

J'ai rencontré mon ami Robert Greenham, auteur d'un magnifique petit livre en rapport avec Barrie, ainsi que sa merveilleuse épouse, Sue. Nous nous écrivons quotidiennement depuis longtemps et nous nous sommes enfin trouvés face à face. Etrangement, j'avais l'impression de le connaître depuis toujours.

Je cheminais, main dans la main, avec mon Amour de mari, dans ce lieu barrien par excellence, royaume des fées et de mes pensées les plus délicates. Robert, qui est un émule de Sherlock Holmes, nous a montré la voie et nous avons trouvé les "tombes" de Barrie dans les Jardins de Kensington.








 



Les fameuses "tombes"auprès desquelles Andrew Birkin, LE spécialiste de Barrie, un homme pour qui j'éprouve une profonde amitié et un respect sans limite, qui a toujours été adorable avec moi, a posé. Cette photographie est l'une de celles que je préfère.


Voir, toucher (embrasser, je le confesse) ces petites pierres était presque irréel.
Je crois bien que ma joie m'a propulsée à quelques mètres du sol, en direction des cieux. Positivement, je sautais et hurlais comme une folle.
Un écureuil m'a suivie pendant toute ma promenade. Ce n'était pas un écureuil "normal". Je vous raconterai aussi cela. Faites-moi penser à vous parler du fantôme de Barrie. Je fais un noeud à mon mouchoir au cas où...

"Mais vous ne devez pas penser que, parce que quelque part parmi les arbres la petite maison scintille, il est une chose sage de demeurer dans les Jardins après l’Heure de la Fermeture. Si les méchantes fées parmi les fées se trouvent être de sortie cette nuit-là, elles vous blesseront à coup sûr. Et, même si elles n’étaient pas là, vous pourriez périr de froid et de peur, avant que Peter ne vînt à vous. Il est arrivé trop tard plusieurs fois et, quand il voit qu’il est trop tard, il court sur ses pas jusqu’au Nid de Grive pour ramener sa pagaie, dont Maimie lui a expliqué le véritable usage. Il creuse une tombe pour l’enfant, érige une petite pierre tombale et grave dessus les initiales du pauvre enfant. Il agit ainsi, car il pense imiter les authentiques petits garçons. Vous remarquez que les petites pierres vont toujours par pair. Il les édifie en double parce qu’il lui semble qu’elles sont moins seules ainsi.
Je pense qu’on ne peut rien voir de plus émouvant dans les Jardins que ces deux pierres tombales, côte à côte, celle de Walter Stephen Matthews et celle de Phoebe Phelps. Elles se tiennent l’une près de l’autre, à l’endroit même où les paroisses de Westminster Saint Mary et celle de Paddington se croisent. Ici, Peter trouva les deux bébés, qui étaient tombés sans qu’on le remarquât de leur landaus : Phoebe âgée de treize mois et Walter, probablement encore plus jeune, car Peter semble avoir omis, par délicatesse, de mettre un âge sur la pierre. Elles reposent côte à côte, et on peut lire ces simples inscriptions :


David, quelquefois, dépose des fleurs blanches sur ces deux innocentes tombes."


(Le petit oiseau blanc)


[Photographies de Robert Greenham]

Correction en date du 7 mai 2007 : nous avons compris notre erreur, rétrospectivement. Nous nous sommes trompés de "pierres tombales" ! Mais, sur l'une des pierres, sont gravées les initiales P.P., comme Peter Pan ou Phoebe Phelps (mais, en réalité Parish of Paddington). N'est-ce pas diabolique ? L'erreur était permise et le rêve de les retrouver reste ouvert pour moi dans ses grandes largeurs. Il n'est pas bon de réaliser tous ses désirs. Ceci n'est pas une vague formule de consolation mais mon intime conviction. La prochaine fois que j'irai à Londres, je les trouverai et je me rendrai également au cimetière des animaux... Et ma joie ce jour-là était réelle. Ce qui importe, c'est ce que l'on insuffle à ce que l'on vit bien davantage que les stricts faits.

Regardez cette ancienne vidéo d'Andrew Birkin, avec son fils Anno :

 

Légende d'Andrew Birkin : "Anno and his half-brother Barny (who played George in "The Lost Boys") visiting the Peter Pan tombstones in Kensington Gardens in 1982. "

Je connaissais et la vidéo et Lost Boys, je n'aurais pas dû me tromper.

Mais mes yeux voient souvent ce qu'ils ont envie de voir. Je ne m'en plains pas...

Le make-believe.


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A quelques mètres du Musée Sherlock Holmes, où je m'étais déjà rendue dans le passé,

j'ai dressé le plan d'attaque de nos promenades, force cartes à l'appui, afin de ne pas perdre une goutte de notre précieux temps.

15 Old Cavendish Street
1890

14 Gloucester Walk on Campden Hill
(1892, il y logea avec sa sœur Maggie)


133 Gloucester Road South Kensington
(1895-1902) domicile conjugal

100 Bayswater Road, Leinster Corner
(1902-1909) domicile conjugal - DIVORCE de Barrie et de Mary A.

3 Adelphi Terrace
1-3 Robert Street
Adelphi, WC2
(1909- 19 juin 1937)

Duke of York’s Theatre
St Martins Lane
le 27 décembre 1904 : Peter Pan


88 Portland Place
Mr and Mrs Lewis (le 31 décembre 1897, Barrie y rencontre Sylvia pour la première fois)

23 Kensington Park Gardens
Demeure des Llewelyn Davies


The Garrick Club
15 Garrick Street

Chaque étape devait nous permettre de reconstituer la figure d'un Londres qui n'existe plus mais qui, cependant, vit encore si l'on se donne la peine de regarder attentivement sous les apparences. Il suffit de soulever le rideau en feuille de soie qui n'est qu'un trompe-l'oeil... Notre quartier de résidence est stratégiquement situé pour mes voyages au centre du Londres barrien, qui dessine un cercle presque parfait en plein coeur de la ville.

Mais je n'avais pas tout prévu...


Bientôt, c'est-à-dire le dernier jour de notre pèlerinage, je devrai frapper à la porte du célèbre détective, car lui seul est en mesure de retrouver certain objet que j'ai perdu lors de ma "terrible aventure"...


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Les Jardins de Kensington :

Les cygnes des Jardins de Kensington dont parle Barrie dans The Little White Bird.

"Parfois, des cygnes abordaient l’île et il leur donnait toute sa nourriture de la journée, afin de les questionner à ce sujet. Dès qu’il n’avait plus rien à leur donner à manger, ces odieuses créatures se gaussaient et s’éloignaient."
Ils se caressent avec des coups de tête et forment un c(h)oeur des plus harmonieux l'instant d'après. Sont-ils amoureux ou en colère ? N'est-ce pas la même chose dans le fond ?
Je dépose au bord de votre prunelle des petites vidéos des Jardins de Kensington (Clips réalisés en amateur ! Je suis, par avance, confuse de la qualité de ces petits films... Et la compression que j'ai dû effectuer pour les mettre en ligne n'a rien arrangé.) afin de vous donner l'illusion d'une incursion au sein de la mythologie de James Matthew Barrie.
La promenade est dédiée à mon amie Fauna, qui saura pourquoi.

Lorsque j'ai posé mes pas ici et là, j'ai pensé à certaines personnes que j'aime. J'aurais adoré, Mélanie, que tu sois ici. Et, toi, Petite Marie...

* Bookcrossing :

 

Bien sûr, les anglais ne peuvent qu'être étonnés de notre manière de prononcer à la "franglaise" le nom du héros, Peter Pan. Pourquoi prononcer à l'anglaise le prénom et à la française le nom ? Je devrais, si j'étais logique, prononcer "Pan" à l'anglaise, mais je crois que j'ai honte parfois de mimer l'accent anglais devant des français. J'ai assisté à la capture du livre. Une jeune anglaise blonde, ravissante, accompagnée de sa maman est partie avec ce livre, qui n'est plus le mien. Peut-être pourrais-je suivre les pérégrinations de cet exemplaire via bookcrossing.com. * Ma pensée à 14h45 précises :

 

* Petit tour des jardins :

 

"Mais les canards eux-mêmes, sur le Bassin Rond, ne sont pas en mesure de lui expliquer ce qui rend le Bassin si intéressant aux yeux des enfants. Toutes les nuits, les canards oublient les événements de la journée, excepté le nombre de morceaux de gâteau qui leur ont été jetés. Ce sont des créatures gourmandes et elles affirment que le gâteau n’est plus ce qu’il était dans leur jeune âge."

* Clin d'oeil :

 

* Une petite fille délicieuse (si j'étais un homme, on m'accuserait de je ne sais quoi, car il est de mauvais ton d'aimer les enfants à notre époque... Or, je suis une fille et je n'aime pas les enfants. Du moins, je prétends tout ceci. Mais c'est sans compter que les femmes sont plus vicieuses que les hommes, y compris dans ce domaine... Un des plus grands tabous de notre époque, qui ne semble pas prêt de s'effriter.) :

 


* Que serait ma vie aujourd'hui si j'avais été comme cette petite fille, insouciante (l'est-elle?) et aimée de ses parents ? Je suis persuadée qu'elle serait moins belle. Être en retard de son enfance est le gage pour moi de ne jamais mourir de lassitude.



"Et il n’avait pas, comme j’eus à Combray dans mon enfance, des journées heureuses pendant lesquelles s’oublient les souffrances qui renaîtront le soir." (Marcel Proust)

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Rencontre avec le passé :

Indice en rapport avec ma "terrible aventure" :


[Source : Beinecke Library]

Un portrait de Barrie peint par Peter Scott, le fils du très célèbre explorateur Sir Robert Falcon Scott. Peter Scott était le filleul de Barrie et Jamie était un proche ami de Sir Robert Falcon Scott. A sa mort, ce dernier recommanda sa femme et son fils à la protection de Barrie. Jamie écrivit une introduction au journal de son ami, où l'on trouve copie de la déchirante lettre d'adieu de Sir R. F. Scott.

[La veuve et le fils de Robert Falcon Scott]

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133 Gloucester Road :

Après le 15 Old Cavendish Street,

 

 

où il logea en 1890 et le 14 Gloucester Walk, où il vécut un moment en compagnie de sa soeur, Maggie, c'est la première maison d'importance de Sir James Matthew Barrie.

 

Il y s'y installa de 1895 à 1902.
Porthos, le fameux saint-bernard, y vécut également. Les fenêtres de la façade avant, au rez-de-chaussée, donnent sur sa salle d'écriture, nous informe son biographe Denis Mackail.

Ce fut la maison du bonheur et de tous les espoirs.

 

 

Je m'y installerais avec plaisir. C'est un rêve à portée de main (bien que j'ignore le prix du loyer). Si j'avais eu plus de temps, j'aurais demandé à la visiter... Petit regret.
Mon accent est désastreux et je recopie ce que m'écrit mon ami Robert à ce sujet, car ses explications sont excessivement claires pour ceux qui s'intéressent à la phonétique (Robert, tu es mon bon génie) :
I have just been looking at your latest videos uploaded on to DailyMotion this morning! Very nice! May I correct you on your pronunciation of 'Gloucester', please? I can imagine that this is a difficult pronunciation to understand, but then Britain is full of strange names! We pronounce it just the same as we would pronounce 'glosster', if such a word existed. We have the name 'Gloster' which is pronounced the same. The vowel 'o' should be pronounced the same way the English pronounce the 'o' in 'Robert' and 'John'. The 'cester' part of 'Gloucester' is pronounced as one syllable, as if it were spelt 'ster', like the second part of the word 'mister'.We have the same sort of thing with the cities 'Leicester' and 'Worcester'. These are pronounced like 'Lesster' and 'woosster' ('oo' pronounced as in 'book' or 'wood', not as in 'mood' or 'food' - assuming you know the difference!).But if there is an 'h' after the 'c' in similar looking names - such as in 'Winchester' and 'Rochester', then the 'chester' part is pronounced as two syllables, exactly the same as the city 'Chester'.

Ce n'est pas sans raison si je projette d'assister à des cours d'été à Oxford. J'aimerais beaucoup suivre des cours de philosophie ou de littérature appliquée. Bientôt.

Ajout du 8 janvier 2008 :

La maison de J.M. Barrie est en vente pour une somme astronomique (6 750 000 livres). Nous ne pouvons que regretter que personne ne songe à en faire un musée à Londres...

Photographies extraites du site de l'agence qui la met en vente (cliquez sur les images pour les agrandir) :

 

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The Garrick Club :


"A la seconde où j’entre dans le fumoir du club, vous devez imaginer David en train de disparaître dans le néant. Il est n’importe quel jour de la semaine, six ans auparavant, à deux heures de l’après-midi. Je sonne pour le café, les cigarettes et le brandy, je prends ma chaise près de la fenêtre, juste au moment où cette stupide petite gouvernante vient se promener dans la rue. J’ai toujours l’impression de l’avoir sonnée."

Le petit oiseau blanc

N'est-il pas facile d'imaginer Barrie à l'une de ces fenêtres ?

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100 Bayswater Road :

 Nous cheminions d'un pas alerte en quête du Graal.

Je portais pour la dernière fois mes gants de cuir couleur guimauve :

Et puis, voilà ! Pan ! Vlan ! Flap ! Clic !
Une maison très importante.
Un lieu mythique pour la lectrice et la traductrice de Barrie que je me plais à être. L'autre lieu, tout aussi porteur d'évocations, est Black Lake Cottage, dans le Surrey, où je me rendrai un jour, car Robert m'a promis de m'y emmener.

La résidence située à Bayswater Road est le second et dernier domicile qu'il partagea avec Mary A. (de 1902 à 1909), à Londres, jusqu'à leur divorce. Le Petit oiseau blanc a été publié en 1902 et Peter Pan a été révélé au public en 1904. Lorsque j'ai découvert cette maison, je crois bien que mon coeur a fait naufrage. J'étais, inexplicablement, pétrifiée. J'avais l'impression absurde de connaître cette maison, comme si... Comme si j'avais été familière des lieux autrefois. Je ne fais pas mon miel de l'irrationnel. Mais force est de constater qu'une vague m'a emportée loin de notre monde et que je crois en certaines présences "surnaturelles", d'autant plus que je suis une fille ultra-logique. Un paradoxe de plus à apporter à mon crédit.


Mon mari m'a suggéré de sonner, puisque la maison donnait l'allure d'une demeure habitée (par des vivants, j'entends). Je n'ai pas pu le faire. La timidité est l'un de mes plus grands handicaps. Je puis faire des choses "extraordinaires" ou excentriques (aux yeux des autres) mais je suis inapte aux actes élémentaires de la vie quotidienne (un travail mercenaire, téléphoner, entrer dans un magasin vide, etc.) !
Dieu merci, lui, appuya sur le bouton.
A deux reprises.
J'étais presque soulagée de trouver porte close.
Un homme, pourtant, nous ouvrit la porte. Je commençais à lui exposer mes raisons, avec le débit et le ton de quelqu'un qui va commettre un crime, me donnant des airs coupables, avant de me rendre compte, à ses habits, qu'il n'était pas le maître des lieux, mais un ouvrier (la maison est en travaux).
Le propriétaire arriva. En retrait. Superbe. L'Angleterre, la Tradition tout entière, reposait sur ses épaules. Le geste et le verbe étaient nobles et mesurés. Pas un gramme en excès ou par défaut. Il avait cette manière d'être au monde, un peu désinvolte, qui me fait défaut. Il y avait aussi, ce qui est essentiel, une lueur ironique dans l'oeil qui me mit à l'aise. Car je suis une sale petite roturière timide.
Je suis une souillon. Je me réprimande à chaque mouvement disgracieux : un squelette qui offense le dos du fauteuil à table, cette façon inélégante de me mordre la lèvre inférieure lorsque je bois un chocolat au lait, les gants que je retire d'un coup de dents avec violence, avec rage, les ongles que je mastique légèrement, les tics de langage. Tout ce qui trahit mon absence d'éducation pour un regard exercé et averti. Je m'en défends mais l'on porte toujours avec soi, de manière indélébile, le sceau de son éducation, et il me semble que plus on la refuse, plus elle se venge sur vous, en ressurgissant au moment le plus inopportun. Nous brinqueballons tous notre passé, un casier judiciaire qui se lit sur le visage. Peut-être est-ce la raison pour laquelle j'ai cette complexion indéformable.
Dans mon sac en plastique, il y avait mon exemplaire du Petit oiseau blanc, que je destinais au bookcrossing et qui pouvait justifier à la fois de mon réel intérêt pour Barrie et de mon identité. J'ai commencé à parler au propriétaire des lieux, qui me regardait d'un air, d'abord interloqué, puis franchement amusé. Je lui demandai si je pouvais entrer dans le jardin. Simplement pour demeurer un instant dans la mémoire de cet écrivain, de ce frère d'âme, auquel j'ai décidé de consacrer une part de ma vie. Il a éclaté de rire, m'a poussée en avant, sans ménagement, et m'a demandé de le suivre. Notre conversation oscillait du français (qu'il parlait avec une certaine habilité) à l'anglais, l'un adoptant la langue de l'autre, délicatesse due à autrui.
Nous étions là.
Tout simplement.
Oui.
C'est ainsi que je me suis retrouvée avec mon mari dans le salon de James Matthew Barrie, sans pouvoir y croire.
J'ignorais encore qui était en face de moi.

Un Lord et une Lady (qui brodait, royalement installée dans un canapé, lorsque nous arrivâmes), comme en témoignaient la qualité de leur accueil et leur parfaite éducation. Mais je ne l'appris qu'avant de partir, lorsque la dame me remit sa carte et que je me retrouvai, soudain, démunie. Je n'avais emporté aucune de mes cartes de visite. Un comble ! J'en possède une belle quantité. Elles ont été imprimées à Venise, par le dernier imprimeur de qualité, Gianni Basso,

et portent le nom de plume que j'ai choisi. Elles sont d'un raffinement exquis, car il n'y a ni adresse ni numéro de téléphone. Je suis une citoyenne du monde : j'habite dans mes rêves. Mais je n'avais rien à offrir en retour. Le summum du manque d'éducation, ajoutez à cela un anglais de charretier, et je suis mortifiée. A l'extrême fin de l'entretien, mon mari se souvint qu'il possédait une de mes cartes, qui reposait dans son porte-cartes depuis au moins une décennie. Elle était complètement usée, voire crasseuse. Que vont-ils penser de moi ?

Ajoutez (encore) à cela que j'ai embrassé un mur (oui, encore), que j'étais à deux doigts de hurler, que j'ai manifesté un enthousiasme immodéré pour le jardin de Barrie, que je me suis extasiée devant leur cheminée quand la dame des lieux m'a indiqué que l'installation avait été certainement faite à la demande de Mary A.
Abruptement, j'ai demandé si le fantôme de Barrie leur rendait visite. Sans ciller ni rire, Lord K. m'apprit qu'il venait une ou deux fois par an, toujours le samedi et après neuf heures du soir.
Mais le propriétaire était confondant de gentillesse et ne manifesta aucune surprise de mauvais aloi face à mon comportement inapproprié - je demandai permission de les prendre en photo devant cette cheminée, ce qu'ils acceptèrent. Puis, il m'apprit qui il était, sans anticiper le cri qui succéda (le mien).
J'estime être la gardienne de leur tranquillité, donc je ne parlerai pas davantage d'eux ni de leur maison, pas plus que je ne joindrai leur photo dans ce JIACO. Je puis seulement préciser qu'il est le demi-frère du fils de l'explorateur Scott. Sa mère avait épousé le fameux explorateur Sir Robert Falcon Scott, avant de devenir veuve et d'épouser ensuite son père. Elle était une amie intime de Barrie et Sir R. F. Scott était une personne très proche de Barrie. Je connaissais, bien entendu, Sir R. F. Scott, mais seulement par les livres. Imaginez ma stupéfaction. Que diriez-vous si, d'un coup, un personnage de romans et de biographies se détachait du papier et sautait à pieds joints devant vous ?
En serrant les mains de Lord K., je tenais le maillon d'une petite chaîne au bout de laquelle se trouvait Barrie. C'est à ce moment précis que j'ai décidé de m'enfuir, n'étant plus en mesure de retenir mes larmes.
Je suis consciente que je puis me donner dans une lumière de grandiloquence, mais je n'ai rien à cacher ni rôle à jouer : je suis de cette eau.
Et c'est ainsi que mes gants couleur guimauve sont restés dans la maison de Barrie et que j'ai vécu ma terrible aventure.

Je n'ai pas osé retourner les chercher. Pour deux raisons : je suis timide (je le répète) et je ne pouvais envisager de briser le souvenir magique de ma venue en ce lieu et surtout l'idée que Jamie avait escamoté mes gants me plut tellement que nous en restâmes là. Croyez ce que vous voulez, mais personne ne retrouvera ces gants, j'en suis persuadée. J'ai demandé l'aide de Sherlock Holmes, qui est tout de même très lié à Barrie, et il m'a affirmé que Jamie était d'un naturel taquin, ce que je savais déjà... Je n'ai pas davantage oublié son amour pour les manchons des femmes, dévorante et insoutenable passion qui s'exprime dans plusieurs de ses oeuvres.

"Mais, si un tel costume n’est pas convenable, je jure qu’il y avait au moins des petites plumes bleues dans son bonnet trop coquet et qu’elle portait un manchon assorti. Aucune partie de la femme n’est plus dangereuse que son manchon. Comme les manchons ne sont pas portés au début de l’automne - y compris par les malades -, je compris, en un éclair, qu’elle avait mis toutes ces jolies choses pour m’amadouer."

Le Petit Oiseau blanc

"Je n’ai aucun talent pour décrire le manteau de la beauté, et je peux m’approcher d’elle au plus près d’elle, après avoir beaucoup réfléchi, en disant qu’elle est belle de pied en cap. Elle portait un manchon en fourrure et, à certains instants, elle l’élevait jusqu’à son visage, comme si elle le prenait pour un flacon de parfum, ou bien elle regardait par-dessus ce manchon, comme un oiseau installé dans un nid, dans un tronc d’arbre."

Adieu Miss Julie Logan

Les gants guimauve seraient-ils à la fille du XXIe siècle ce que le manchon était à la femme du XIXe siècle ? Tout m'incline à le croire et je suis flattée que Barrie ait eu cette attention coquine à l'égard de ma petite personne.

 

Le pire est que je n'ai aucun souvenir de les avoir ôtés. J'ai enlevé un instant mon gant gauche pour serrer la main de mes hôtes, mais je l'ai remis aussitôt cette politesse rendue et je n'ai en aucun cas délesté ma main droite de son gant.
Il ne me restait plus qu'à me contenter de leurs jumeaux, noirs et patinés.

Si vous désirez obtenir une copie de mes gants magiques, rendez-vous ici. Quant à moi, je devrais attendre mon prochain séjour à Venise pour que M. mon mari m'en offre une nouvelle paire.

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23 Kensington Park Gardens :


"That strange and terrible summer" ended with the onset of September, and the Davieses set sail for London, Home and Wilkinson's — George to Wilkinson's for his second term, and the family to their new home at 23 Kensington Park Gardens ..." (Cf. le site d'Andrew Birkin, je souligne)


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88 Portland Place :


Certes, je gueule un peu (beaucoup) sur cette vidéo, mais le bruit alentour, celui des voitures, était réellement assourdissant. Impression d'être un bateleur de foire - ce qui tombe plutôt bien, puisqu'une des prochaines étapes sera Covent Garden, avec une évocation d'Eliza Doolittle - ou une poissarde en regardant ce petit film. Envie d'éclater de rire. Je suis ridicule. J'aime assez ma bêtise.

Imaginez que nous sommes en 1897. Le 31 décembre, pendant le réveillon, chez les Lewis qui ont eu l'excellente idée d'inviter Barrie et Sylvia Llewelyn Davies. Ils ne se connaissent pas encore mais le sort est déjà jeté. Nous sommes privilégiés parce que nous connaissons l'avenir de cette rencontre capitale. Je cite dans ma traduction le biographe par excellence, Denis Mackail, qui a écrit LA vie de Barrie et dont le travail fut titanesque : "Les Barrie ont, à ce moment-là, dîné plus d'une fois avec Sir George et Lady Lewis dans leur maison de Portland Place (...) Barrie se tourne vers l'un des convives près de lui. Et, à cet instant précis, elle [Sylvia] doit se contenter d'avoir, de l'autre côté, une vue sur son petit dos. Car il y a là, juste de l'autre côté, celle qui est vraisemblablement la plus belle femme dans cette pièce. Sylvia Llewelyn Davies, qui, cinq ans auparavant, était encore Sylvia du Maurier. Aucun des deux n'oubliera jamais cette rencontre, car ce qui adviendra bientôt sera plus que particulier et participera aussi de la légende."


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The Duke of York's Theater:





Le théâtre aujourd'hui. La petite boutique des horreurs est à l'affiche.


Je n'ai pas été autorisée à filmer l'intérieur du théâtre. Un Cerbère en jupons, avec du poil au menton (je rajoute cet attribut au crayon de papier sur le portrait mental qui me reste de la dame), m'a barré la route. Je ne la remercie pas. Je reviendrai, madame, avec une autorisation du directeur... et nous verrons ce que nous verrons !

Mais je ne pouvais manquer d'évoquer, même en courant, le lieu où fut donné, pour la première fois, Peter Pan, le 27 décembre 1904.



 

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Adelphi Terrace :


Je finis l'évocation rapide et maladroite des grands lieux barriens (mais non pas de mon voyage londonien, car il me reste deux ou trois billets à écrire) avec ce lieu très célèbre pour les lecteurs de Barrie (et pas seulement). 3 Adelphi Terrace. Non loin de Charing Cross, j'ai retrouvé l'endroit où Barrie a emménagé après son divorce et où il a achevé son existence, en 1937. Il logeait au troisième étage. Les Shaw habitaient en face. C'est ici, sur un lambris, que Maurice Maeterlinck écrira un hommage à Barrie et à son Petit oiseau blanc, qui est le grand-père de son Oiseau bleu.






[Photographies de l'intérieur de cet appartement que m'a transmises Andrew Birkin et que l'on retrouve sur son site]
Je signale l'existence d'une page sur les "plaques bleues" qui ornent les maisons de gens célèbres dans Londres.


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Souvenez-vous de ma "terrible aventure".
Ce matin, dans les mains du facteur, un colis de Lady K.
A votre avis, que trouvai-je à l'intérieur ?



Les gants couleur guimauve sont de retour.

 

~Part I : À londres, sur les traces de

J.M.B.
~

~Part II : L'Écosse ~

~Part III : Black Lake ~

~Part IV : Édimbourg et Les

Hébrides ext. (Part I - Part II) ~


~Part V : Les Hébrides int. (voyage

en devenir) ~

~Part VI : Stanway (voyage en

devenir) ~