Le monde de James Matthew Barrie


> Avant propos
> Biographie
> Galerie de photographies


> Thrums
> Kensington Gardens
> Never (never never) Land
> Sa bibliothèque

> Bibliographie
> Editions pirates
> Iconographie
> Les illustrateurs de Barrie
> Pastiches
> Lettres

> Livres en français
> Livres en langue anglaise
> Films
> Téléfilms / émissions
> Comédies musicales
> Produits dérivés
> Curiosités


> Présentation du roman
> Extraits
> Vingt-six chapitres


> La genèse du personnage
> La pièce
> Le film
> Le mythe

> Citations de Barrie
> Citations sur Barrie
> Tommy Sandys
 

Par le hasard des affinités électives, ou au contraire peut-être est-ce le fruit de leur nécessité, Maurice Maeterlinck,

 

l'auteur de Pelléas et Mélisande, et Claude Debussy, le compositeur de l'opéra, ont un lien avec James Matthew Barrie. J'ai évoqué le premier ici. Du second, je rappellerai un ou deux détails, en citant ce qu'a écrit Paul Hooreman dans La revue de musicologie (volume 48, juillet-décembre 1962) :
"Quand j'étais enfant, - c'était hier, c'était en 1911, -j'allais souvent goûter chez mon oncle Francis de Miomandre, et là, pendant que ma tante, éclectique et bonne pianiste, m'imprégnait de Mozart ou de Fauré, de Debussy ou de Wagner, je lisais et relisais, couché à plat ventre sur le tapis du salon, un livre dont l'histoire m'enchantait, et dont les illustrations, surtout, exerçaient sur moi une fascination délicieuse. Je ne soupçonnais pas qu'en ce même temps, dans un hôtel du Bois-de-Boulogne, une petite fille de mon âge lisait le même livre avec le même plaisir, tandis que son père, lui, jouait peut-être moins de Wagner, mais sûrement plus de Debussy. La petite fille s'appelait Claude-Emma Debussy, mieux connue dans l'histoire de la musique sous le nom de Chouchou, et le livre, Peter Pan dans les jardins de Kensington, de James Matthew Barrie [une partie de "mon" Petit oiseau blanc, donc]. Hachette venait d'en publier la traduction française, illustrée des ravissantes aquarelles d'Arthur Rackham. Le mystérieux jardin londonien, la vie secrète des gnomes et des fées dans le creux des arbres, Peter Pan naviguant sur la Serpentine dans une barque faite d'un nid d'oiseau, tout cela m'émerveillait, moins peut-être par la grâce émouvante du récit que par la poésie secrète des paysages de Rackham. Une image, entre autres, charmait le musicien en herbe que j'étais ; son titre, imprimé sur une mince feuille de garde, disait (c'est une citation extraite du conte) : " ... Les fées sont des danseuses consommées".


Et certes, elle était aérienne, la petite fée que Rackham faisait danser sur un fil de la Vierge, au son d'une basse de violon jouée par une araignée. Qu'un grand musicien que j'aimais en est fait le sujet d'une de ses œuvres ne m'étonna point, quand je découvris plus tard le deuxième livre des Préludes, et il me semblait évident que tout le monde dût connaître l'aquarelle de Rackham, et le conte de J.M. Barrie. La parenté des trois œuvres était pour moi chose si avérée que le titre du prélude en vint à se substituer dans ma mémoire à la légende exacte de la planche illustrée. C'est récemment qu'il m'est apparu que les commentateurs ignorent cette source de l'imagerie debussyste - ce qu'ils disent du sixième prélude du livre II n'est que paraphrases poétiques - et qu'il me faudrait peut-être un jour, à l'intention des esprits critiques, démontrer «musicologiquement» ce que je savais depuis l'enfance. Voici donc, avec mes excuses aux fées, les pièces justificatives de leur procès.
I. L'édition originale anglaise de Peter Pan in Kensington Gardens, illustrée par Arthur Rackham, parut à Londres en 1906.
II. En 1907 parut une seconde édition moins coûteuse, dont Hachette publia la traduction française. (Miomandre m'avait dit le nom du traducteur, mais je l'ai oublié ; ce n'était ni Henry-D. Davray ni Robert d’Humières.)
III. En 1911 parurent encore une édition anglaise et une française du même texte, mais en un format plus petit et avec un moindre nombre de planches. (Sur ces diverses éditions, le lecteur studieux consultera la monographie de Derek Hudson, Arthur Rackham, His Life and Work, London 1960 -et y prendra bien du plaisir.)
IV. Les Préludes de Claude Debussy, deuxième livre, parurent chez Durand en 1913. Selon Vallas (Debussy et son temps, p. 299), le musicien y travaillait depuis 1910, et Ricardo Vines joua les Fées en première audition à la Société Nationale le 5 avril 1913.
V. Dans l'édition des Préludes, le titre : "Les fées sont d'exquises Danseuses" est ainsi imprimé, entre guillemets, à la fin du prélude et dans la table des pièces ; il est le seul à présenter cette particularité.Pour qui connaît la minutie graphique de Debussy, ce n'est point là un accident ; l'auteur tenait à signaler qu'il s'agissait d'une citation.
VI. Une lettre de Debussy à Robert Godet, publiée dans les Lettres à deux amis, Paris 1942 (lettre XLV, p. 132, datée du 3 janvier 1912 ), dit ces précises paroles : "Très cher Godet, Chouchou, pour qui Rackham est déià "ce vieux Rackham". a été ravie de votre envoi. Elle me prie de vous en remercier ("bien gentiment" en vous souhaitant une "bonne et heureuse année"... Vieille formule qui reprend toute sa grâce en passant par la bouche d'un enfant ! [...]"
Mais, dira le lecteur, "exquises danseuses" du prélude et "danseuses consommées" du conte, ce n'est pas la même chose ; qui peut nous assurer que Debussy s'est bien inspiré de Peter Pan ? - Réponse : le texte anglais lui-même, qui dit : "Fairies are exquisite dancers" (et non pas : "consummate"). Debussy, qui savait médiocrement l'anglais (cf. Serenade for the Doll dans le Children's Corner), a transposé littéralement le "faux ami" que le traducteur du conte avait soigneusement rendu.
Ceci nous fait supposer que Debussy avait connu les aquarelles de Rackham en 1908 déjà, lors de son voyage à Londres, et que l'envoi de Robert Godet -apparemment la petite édition de 1911 -n'a fait que raviver son souvenir, puisque Chouchou connaissait déjà les illustrations de Rackham. Le livre envoyé par Godet ne peut être Ondine, le conte de La Motte-Fouqué, dont l'édition française illustrée par Rackham ne parut qu'en 1912, mais il est infiniment probable, quoique manquent ici les preuves tangibles, qu'Ondine, le huitième prélude du même livre II, a été, lui aussi, inspiré par les aquarelles de Rackham.
On a souvent remarqué l'attrait de Debussy pour tout ce qui venait d'Angleterre, et chacun sait quel rôle primordial jouait la stimulation visuelle dans l'imagination créatrice de l'auteur d'Images et d'Estampes.
Sur l'un et l'autre point les Fées nous apportent un exemple de plus.
Mais je serais consterné que quelque sot prit argument de mon article pour faire de Debussy un musicien descriptif, une sorte de Richard Strauss moins grossier ; je vois déjà, avec horreur, l'aquarelle de Rackham reproduite sur l'enveloppe d'un disque !... Certes, les paysages étaient pour lui source constante d'inspiration ("rien n'est plus musical qu'un coucher de soleil ..."), et les tableaux (Whistler), les objets (Canope), les images (Hokousai), les cartes postales (La Puerta del Vino) pouvaient en tenir lieu, si leur force d'évocation était assez grande,mais ils ne lui servaient que d'étincelle inspiratrice et le musicien en transcendait tous les détails pittoresques. On ne saurait trop relire, sur ce point, ce qu'il publiait en 1911 : "Qui connaîtra le secret de la composition musicale ? Le bruit de la mer, la courbe d'un horizon, le vent dans les feuilles, le cri d'un oiseau déposent en nous de multiples impressions. Et, tout à coup, sans que l'on y consente le moins du monde, l'un de ces souvenirs se répand hors de nous et s'exprime en langage musical..."
Pour son anglomanie, il est injuste de la rattacher à la mode du temps et d'y voir une affectation "fashionable", comme on disait alors. C'est une affinité plus profonde qui relie Debussy à ce qu'il y a d'essentiellement rêveur et de contemplatif, de "mystique naturiste", dirais-je de pentaphonique, dans l'âme et la sensibilité anglaises ; la nationalité n'est pour rien dans ces parentés caractérologiques. Même son intérêt d'un jour pour les fées d'Arthur Rackham témoigne dans le même sens : pour le Français typique, les fées sont une invention charmante, certes, mais d'une imagination puérile qu'on rejette dès qu'on a l'âge de raisonner ; bien avant Shakespeare elles étaient réelles (de cette réalité évidente et imaginaire propre à la poésie) pour l'Anglais, qui ira jusqu'à les photographier [Cf. ce billet sur Conan Doyle], même si c'est with his tongue in his cheek... Et certes, parmi tous les documents qu'on possède sur l'existence de ces petits êtres qui transfigurent de leur présence évanescente et fugace les lieux qu'ils habitent, l'un des plus significatifs est assurément celui que nous a légué Debussy."

To be continued...