Le monde de James Matthew Barrie


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[Dessin de W.W. Lendon pour le livre de H.M. Walbrook, J.M.Barrie and the Theatre, F. V. White and Co. Ltd, 1922]

Barrie, dans Tommy et Grizel, chapitre XV écrit ceci au sujet de Tommy : « Il passe des rêves à la réalité comme il traverserait du papier de soie. »

James Matthew Barrie n’aimait guère les biographies, il s’exclamait même, dans un de ses carnets de notes : « Que le ciel foudroie celui qui écrira ma biographie ! » (1). Cette invective nous dissuadera donc de nous frotter à ce genre d’herméneutique. Quoique... De toute façon, qui peut savoir ce qu’est une vie d’homme à moins de l’avoir vécue ? Nous restons d’ailleurs un mystère pour nous-mêmes, et c’est une chance, car si nous savions qui nous sommes réellement, cela nous dispenserait de poursuivre notre chemin jusqu’au dernier carrefour. Nous ne connaissons pas l'acte ultime. Il n’y a guère de fatalité cependant dans une existence, mais le prolongement d’un caractère, qui nous demeure quelque peu caché, quelque peu révélé : « La faute, cher Brutus, n’est pas dans nos étoiles, mais en nous-mêmes si nous sommes des sous-fifres ! » (2). L’homme est responsable de lui-même, bien qu’il soit prisonnier de sa nature. Paradoxe(s) de l’homme, condamné autant à la liberté qu’au déterminisme. Barrie semble schopenhaurien.

Barrie n’était pas enclin à lire une biographie de sa vie. Qui le serait ? Cioran s’étonne que « la perspective d'avoir un biographe n'ait fait renoncer personne à avoir une vie. » (3). Toute biographie est un mensonge, plus ou moins assumé et conscient, que l’on rédige la sienne ou celle d’un autre. Barrie était très lucide. C’était même une de ses qualités principales. On devine une manière de pessimisme en le lisant. Peut-être parce qu’il pressentait avec une acuité à nulle autre pareille que notre existence, la somme de nos actes, de nos erreurs, et de nos réussites apparentes, ne serait jamais égale à celle de nos regrets et de nos rêves déchus. Pourtant les choses invisibles ont autant de poids, sinon bien davantage, que ce qui apparaît à la surface de nos brèves existences.

En effet, n’écrivait-il pas : « La vie de chaque homme est un journal intime dans lequel il est supposé écrire une histoire, mais il en écrit une autre, et son heure la plus humiliante est celle où il compare ce qui est écrit dans le volume avec ce qu’il s’était juré d’accomplir. Mais le biographe voit le dernier chapitre quand il n’en est encore qu’au premier et j’ai seulement à écrire à l’encre par-dessus ce que [ajoutez votre prénom lecteur, en lieu et place de celui du héros de Barrie, Gavin] a écrit au crayon. » (4) ? Ces quelques lignes nous semblent parler de Barrie mieux que n’importe quel biographe ou exégète de la prose fantaisiste de Barrie ne serait en mesure de le faire. Que nous avoue-t-il sinon cette vérité universelle que toute vie est un échec, un ratage, une imposture à l’égard de nos rêves les meilleurs ? « Nous sommes tous des ratés - du moins, les meilleurs d'entre nous le sont. » ; « Toute vie se termine par l’échec. Ceux qui peuvent encore le comprendre sont ceux qui savent que la vieillesse ne peut rien enseigner à la jeunesse (et c’est une bonne chose). » (5).

La vie de Barrie m’apparaît, quelquefois, pour ne pas dire presque toujours, comme une lettre qui n’aurait pas trouvé son destinataire. A la lecture des titres de ses romans et pièces, on pourrait imaginer que l’œuvre de Barrie a le goût de la guimauve. Il est même une marque de toffees qui a cru bon de prendre le titre d’une de ses pièces, Quality street, et certains de ses personnages pour illustrer ses boîtes en métal. Pourtant, Barrie a toujours fait preuve de cruauté dans ses écrits, y compris dans ceux qui semblent plus évidemment adressés à des enfants. Peter Pan n’a cependant rien d’un récit mièvre et politiquement correct. Bien au contraire !

Il y est question d’abandon, d’ingratitude, de mort et de cruauté, alors que la plupart des gens n’y voient qu’un récit destiné à bercer les enfants. A l’instar de Lewis Carroll, Barrie n’est certainement pas un écrivain « pour enfants » - même si comme le disait Charles Lutwidge Dodgson, écrire pour les enfants ne se distingue de l'acte d'écrire pour des adultes que par le simple fait qu'écrire pour des enfants nécessite beaucoup plus de talent... Ce rapprochement entre ces deux hommes se justifie à bien des égards : l’un comme l’autre, ils ont écrit au moins un classique (Alice et Peter Pan) et semblent s’intéresser dangereusement aux enfants – mais sans vice inavouable. Car le mal est dans l'oeil ne celui qui ne sait pas regarder.

 


(1) : Carnet numéro 41, 1926 ; Cf. http://www.jmbarrie.co.uk/jb_index.html.
(2) : Citation extraite de Jules César de Shakespeare (Acte I, scène II) reprise dans la pièce de Barrie, Dear Brutus.
(3) : Syllogismes de l’amertume.
(4) : The Little Minister, chapitre 1.
(5) : Carnet numéro 40, 1921-1922.