| 
 ou sur le " sentimentalisme" de 
                Barrie... [en cours d'écriture...]
 La couleur de notre site semblera, au prime abord, féminine 
                et sucrée. Certes, mais elle répond aussi à 
                une idée que j'espère plus subtile. Elle n'est pas 
                simplement une couleur qui me plaît trop. La guimauve est 
                traditionnellement associée dans notre langue à 
                une forme de sentimentalisme de mauvais aloi, à un caractère 
                ou à des émotions faussement imbus d'eux-mêmes. 
                Or, telle est souvent la perception fausse que certains ont de 
                J.M.B. et de son oeuvre. J'aimerais donner des éléments 
                pour contrebattre ce préjugé.
 
   Barrie emploie sans gêne le mot de 
                sentimental. Un de 
                ses romans est affublé de l'adjectif, Sentimental Tommy. 
                Encore faut-il s’entendre sur le sens du mot sentimental. 
                Prenons le Roget’s Thesaurus qui était le 
                fidèle compagnon d’écriture du père 
                du Petit Oiseau blanc. «Émotif d’une manière affectée ou outrée. 
                » L’émotion y est donc surjouée, ce 
                qui est une autre manière de mise à distance, qui 
                participe de l’ironie et du jeu (et l'absence de cette émotion imitée). La sentimentalité 
                de Tommy n’est que sa croyance dans le masque qu’il 
                crée aux frais de sa propre personnalité. Elle fait 
                de lui un écrivain, elle le détruit en tant qu’homme. 
                Mais aurait-il pu exister en tant qu’homme indépendamment 
                de l’écriture (des masques) ? On peut poser la même question 
                au sujet de Barrie. Geduld écrit ces lignes qui nous paraissent 
                très lucides : «Ironiquement, la représentation 
                de lui-même par Barrie dans le personnage de Tommy est un 
                masque de plus, ajoutés à ceux que porte Tommy et 
                arrachés par son créateur. L’implication personnelle 
                de Barrie dans ses romans l’empêche de considérer 
                cela avec objectivité.» Le Capitaine W—, lui, surpasse 
                ce clivage à l’extrême fin du roman, puisqu’il 
                se révèle. Mais il n’en demeure pas moins 
                seul, bien qu’il ait l’espoir un peu fallacieux de 
                trouver quelqu’un qui reçoive son affection.
 Tout le problème du sentimental est celui du rêve. Le rêve de soi, le rêve des autres...   (Copyright Arthur Rackham)
   Qui d'entre nous possède assez de 
                foi pour réaliser ses rêves ?  Tout le monde rêve.
 Il n’y a pas d’âge.
 Mais est-ce que ce sont les mêmes rêves, à 
                dix-sept et à quatre-vingts ans ?
 Personne ne croit que les rêves ont une durée de 
                vie limitée.
 Pourtant, c’est le cas. Ce n’est pas tout à 
                fait vrai, mais ça revient au même. Ce sont les gens 
                qui deviennent trop vieux pour les rêves. Comme un vêtement 
                qui aurait rétréci, ils ne peuvent plus les porter. 
                La vieillesse est moins une évidence physique ou une décision 
                qu’une possibilité qu’adopte l’homme 
                fatigué, qui s’aperçoit qu’il ne sera 
                pas celui qu’il a rêvé d’être et 
                qu’il est tentant d’aimer un bonheur simple, ordinaire, 
                facile, à portée de main et d’espoir. Pourquoi 
                ne peut-il être ce qu’il a rêvé d’être 
                ? Parce qu’il a rêvé de travers ou bien parce 
                qu’il a volé le rêve de quelqu’un d’autre 
                ?
 Les enfants reprochent à leurs parents de n’avoir 
                pas (eu) le courage de réaliser leurs rêves.
 Ils s’insurgent contre l’idée que leurs rêves 
                présents aient quelque chose à voir avec les rêves, 
                morts, de leurs parents. Ne dites jamais à un enfant qu’il 
                vous rappelle ce que vous étiez au même âge. 
                Il pourrait vous tuer pour ça et il ne serait pas à 
                blâmer. Il ne peut vous croire, quand bien même il 
                s’appliquerait à cet effort, car il est soumis à 
                son rêve, jeune maître du royaume des possibles qui 
                regarde avec condescendance le serf du monde des rêves perdus.
 Pourtant de lui à vous, ce sont les mêmes rêves. 
                Décalés, ayant sauté une génération, 
                ils se retrouvent dans un corps et un esprit presque neufs. L’erreur 
                commune et répétitive serait de croire que le rêve 
                que l’on formule est inédit. Il n’y a pas un 
                million de rêves différents ni même une centaine. 
                Il y a trois sortes de rêves. Pas une de plus. Les rêves 
                au passé (les regrets et les remords), les rêves 
                au présent (l’espoir) et les rêves au conditionnel 
                (les rêves auxquels on ne croit pas mais qui sont agréables, 
                et qu’on habite, en passant, comme lorsqu’on s’arrête 
                à l’hôtel et que l’on fait semblant d’être 
                chez soi). Les songes ressemblent aux galettes des rois : il y 
                a toujours une fève à l’intérieur. 
                Tout le monde devrait la trouver, tout le monde a sa chance, mais 
                ça n’arrive presque jamais parce que les grandes 
                personnes sont trop sérieuses et qu’elles préfèrent 
                ne pas risquer de se tromper, d’échouer, alors elles 
                font mine de ne pas tenir à leur rêve.
 La mémoire ne rétrécit pas avec le temps, 
                c’est l’inverse. Elle ressemble à un chewing-gum 
                frais que l’on a l’impression de pouvoir étirer 
                à l’infini. Il n’y a pas indigestion de souvenirs, 
                d’actes manqués et de rendez-vous annulés. 
                En réalité, ce sont tous ces moments perdus qui 
                prennent plus de place et qui nous dissuadent de nous ouvrir davantage 
                à l’univers, d’entasser de nouveaux visages, 
                d’engranger des idées inhabituelles ou d’inaugurer 
                des moments différents. On sait que ça ne sert plus 
                à rien, un peu comme les tas de livres qu’on achète 
                et qu’on empile, jusqu’au jour où on se rend 
                compte qu’on ne vivra pas assez longtemps pour tous les 
                lire. Alors à quoi bon en acheter de nouveaux ? Il se produit 
                un phénomène comparable avec les êtres et 
                les choses. On arrête d’aimer et de retenir les gens. 
                Certaines personnes, bien sûr, ne se rendent pas compte 
                de cette impossibilité. Elles continuent d’entasser 
                et puis un jour elles meurent sans avoir eu le temps d’apprécier 
                un peu ce qu’elles avaient.
 Pourquoi oublie-t-on parfois ses rêves au réveil 
                ? On les égare dans notre cerveau, à la manière 
                dont les parents du Petit Poucet on perdu leur fils dans la forêt. 
                Sauf que les rêves ne reviennent jamais si on a définitivement 
                renoncé à eux. Ils ont été adoptés 
                par d’autres personnes et c’est trop tard pour les 
                rattraper. Il n’y a rien de plus susceptible qu’un 
                rêve.
 Les gens n’assument pas toujours les actes qui leur échappent 
                et ils parlent de moments d’égarement. Ils ne reviennent 
                pas souvent en arrière. Les moments d’égarement 
                sont les jours de permission ou de sorties des rêves dans 
                notre monde. Ils sont tenus en laisse comme des toutous par leur 
                propriétaire. Seulement, ces derniers ne s’en rendent 
                pas compte.
 
 Barrie est le maître des songes.  Sylvia Llewelyn Davies
 |