Le monde de James Matthew Barrie


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{Notre traduction, agrémentée d'une longue postface et d'images extraites de nos archives, parue en octobre 2014.}

 

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« Je ne les accompagnais pas souvent. Nous ne savions pas à ce moment-là que les gens du pays n'aimaient pas, par superstition, s'aventurer dans l'île, qui était censée ressentir cette répulsion. Elle portait un nom celtique qui signifie "l'île qui aime à être visitée". Mary Rose ne savait rien de tout ceci et adorait son île. Elle avait l'habitude de lui parler, de l'appeler "sa chérie" et de lui murmurer d'autres noms affectueux. »
Mary Rose



Photographie d'Andrew Birkin, lors de son voyage aux îles Hébrides.

Le Loch Voshimid (Hébrides extérieures - île de Lewis-Harris).

Cliquez sur la carte pour l'agrandir. Ma croix est approximative, car l'île de Mary Rose est "posée" sur le Loch Voshimid. Par cette croix, je désigne simplement et grossièrement la partie des Hébrides qui nous intéresse.

 

Cette pièce importa beaucoup à Alfred Hitchcock. Il s'en explique ici.

Une étude sur les réminiscences de Mary Rose dans les divers film du Maître a été écrite par Joseph McBride dans la revue Cineaste (Volume XXVI, Numéro 2). Nous vous livrons ci-dessous un résumé de la pensée de l'auteur, mêlé à nos réflexions et recherches.








Hitch. souhaitait donner une version plus noire de la pièce de Barrie. Mais son projet s'avéra trop « perturbant »pour que Universal lui permît de le réaliser. La méditation poétique sur la jeunesse éternelle et sur la mort étaient les éléments qu'Alfred H. voulait tirer de la pièce.
En 1920, il imagina Fay Compton







dans le rôle principal de Mary Rose. Il fera jouer l'actrice, en 1932, dans Le Chant du Danube (Waltzes from Vienna). La pièce, entre-temps, fut reprise en 1926 et en 1929. Hitchcock s'évertuera à l'adapter dans les années 60. En vain ! Donald Spoto, le biographe du cinéaste,






explique que cette impossibilité fut la plus grande déception de toute sa vie artistique. C'est surtout pendant les années 1963-1964, pendant le tournage de Marnie, qu'il s'est le plus investi dans ce projet. Il travailla sur le scénario avec Jay Presson Allen. Désormais, il rêvait de Tippi Hedren dans ce rôle.




Il arpenta des territoires artistiques inexplorés pendant les années 60, grâce aux libertés nouvelles accordées aux cinéastes. Son plus beau voyage fut alors celui qu'il entreprit dans ce que Shakespeare appelait « le pays inconnu d'où aucun voyageur ne revient »- sauf Mary Rose !
En 1963, Hitchcock aurait souhaité que Fay Compton jouât le rôle de Mrs. Otery, la gardienne de la maison hantée de Mary Rose.

L'appel de l'île est un élément difficile à rendre. Mais il avait pensé à un thème pour Bernard Hermann : un mixte entre la musique de Vertigo et celle de Mrs. Muir (l'admirable film de Mankiewicz). On retrouve une trace de Mary Rose dans Vertigo : lorsque Scottie (James Stewart) sort Madeleine (Kim Novak) de l'eau. Elle demande où est son enfant (elle n'en a pas) pendant son sommeil.
La pièce La Vieille Dame montre ses médailles [bientôt en ligne] témoigne aussi de cette absence d'enfant...
Mary Rose est presque le fruit d'un songe, celui de ses parents et de son fiancé, Simon. Elle incarne pour Hitch. un être vaporeux, inaccessible, irréel, immatériel... À nos yeux, elle est le symbole de l'oeuvre tout entière de Barrie, qui n'élit jamais un domaine entre le réel et l'imaginaire. Mary Rose revient d'entre les morts et hante les vivants, car elle se sent coupable d'avoir abandonné son enfant (Harry).
Dans les années 50, Hitchcock, toujours amoureux de la blondeur, envisagea Grace Kelly dans le rôle.
Il avait entretenu une relation malsaine avec Tippi Hedren. Il s'était comporté avec elle comme Scottie avec Madeleine dans Vertigo...
En 1963, il demanda à son agent d'acquérir les droits de Mary Rose pour un film et enregistra le projet sous le titre suivant : "L'île-qui-aimait-à-être-visitée". Allen écrivit deux versions du scénario. Hitch. désirait que le film ne soit pas vendu comme "la Mary Rose d'Hitchcock" mais sous cette dénomination "Une histoire de fantôme par A. Hitchcock : Mary Rose."
Hitchcock s'est entretenu assez précisément du projet avec François Truffaut : ici. Il concevait cette histoire avec une touche de science-fiction [le terme me paraît inapproprié]. La véritable question étant la suivante :
"(...) derrière tout cela, il y a cette idée exposée flegmatiquement : si les morts revenaient, nous ne saurions absolument pas quoi faire d'eux !"
Après Tippi Hedren, c'est à Claire Griswold




que le Maître pensa pour ce rôle. Hélas, ce n'était pas le genre de film que l'on attendait de lui ! Il ne put mener à bien son projet. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, Hitchcock n'eut jamais tout à fait carte blanche à Hollywood.
Il se consola quelque peu en saupoudrant quelques éléments de Mary Rose dans la scène d'ouverture de Family Plot.
Universal empêcha Hitchcock de tourner ce film, qui était une entreprise excessivement personnelle. Il s'y était beaucoup impliqué émotionnellement. On le ressent dans la scène finale qu'il a écrite lui-même et qui se tient entre le narrateur et le batelier / prêtre Cameron.

On peut la lire ci-dessous :

 

Extrait du scénario d'Hitchcock :

CAMERON (o.s.)

The Island. The Island That Likes To Be Visited [cq].

Surely we all know at least one such tempting place...

such an island... where we may not go. Or if we do dare to

visit such an island... we cannot come away again without...

(there is bitter humor in his voice)

...without embarrassment. And it takes more than a bit of

searching to find someone who will forgive us that.

(CAMERON's voice changes now, becomes

louder, matter-of-fact, and final)

Well, that is it. Let's go back home now.

(ironically)

There of course it's raining . . .

 

THE CAMERA begins to retreat. The Island grows smaller,

mistier.

 

CAMERON (cont'd, o.s.)

...as usual. And there's a naughty boy waiting for

punishment and an old villager who had the fatal

combination of weak heart and bad temper. He's waiting

to be buried. All the usual, dependable, un-islandy

things.

(he sighs deeply)

You understand.

 

As the Island becomes no more than a distant vision,

CAMERON's voice diminishes as well, until at last we

have lost them both.

 

FADE OUT.



Vous pouvez télécharger le scénario en entier ici et lire cet article-ci.

 

*


Ce thème du fantôme sinue dans l'oeuvre entière de Barrie. Farewell Miss Julie Logan est aussi un conte d'amour et de mort. On pourrait citer d'autres exemples plus touchants les uns que les autres dans son oeuvre. En ce qui concerne Mary Rose, Barrie puise son inspiration dans la mythologie celtique, selon laquelle les enfants sont capturés par les fées. Wendy est une enfant et une mère, de même Mary Rose. Les Hébrides sont une terre mère vierge. L'île protège Mary Rose de la croissance, synonyme de corruption. En filigrane, il est possible de se demander si la question de l'inceste entre le père et la fille n'est pas suggérée.


*

« Je crois que les seuls fantômes qui se glissent dans notre monde sont de jeunes mères décédées qui reviennent voir comment se portent leurs enfants (1). Il n’y a pas d’autre motivation assez forte pour ramener ceux qui sont partis. Elles entrent sans bruit dans la chambre bien connue, quand, de jour et de nuit, les geôliers sont occupés. Elles murmurent : « Comment vas-tu, mon enfant ? ». Mais, toujours, de crainte qu’un visage étranger ne l’effraie, elles murmurent si doucement qu’il ne peut entendre. Elles se penchent sur lui pour voir s’il dort paisiblement, et replacent son bras mignon sous la couverture, puis ouvrent les tiroirs afin de compter combien de petites vestes il possède. Elles aiment faire ce genre de choses.
Ce qui est le plus triste, en ce qui concerne les fantômes, c’est qu’ils ne peuvent reconnaître leur enfant. Ils s’attendent à le trouver tel qu’il était quand ils l’ont laissé, et ils sont naturellement perplexes. Ils le cherchent de chambre en chambre et détestent l’inconnu qu’il est devenu. Pauvres âmes passionnées ! Elles peuvent même le blesser. Ce sont ces fantômes qui vont gémissant dans les vieilles maisons. De folles et extravagantes histoires sont inventées pour expliquer ce qui est si pathétique et si simple. Je connais un homme qui, après avoir erré au loin, est revenu à sa première maison afin d’y terminer ses jours. Quelquefois, de sa chaise, près du feu, il voyait la porte qui s’ouvrait doucement et le visage d’une femme apparaissait(2). Elle le regardait toujours avec un air d’extrême vengeance, puis elle disparaissait. Des choses étranges se sont produites dans cette maison. Les fenêtres étaient ouvertes la nuit. Les rideaux du lit étaient enflammés. Une marche de l’escalier s’effondrait. Le couvercle d’une vieille trappe dans le couloir, où il marchait, était astucieusement ôtée. Et, quand il tomba malade, une mauvaise potion fut déposée dans le verre à son insu, et il mourut. Comment cette jeune et jolie mère aurait pu savoir que ce commerçant grisonnant était l’enfant qu’elle recherchait ?
Toutes nos idées sur les fantômes sont fausses. Il n’est rien de si insignifiant que l’idée selon laquelle ce sont le non-respect de leurs dernières volontés ou les actes de violence qui les font revenir. Nous sommes presque moins effrayés par eux qu’ils ne le sont par nous. »

Le Petit Oiseau blanc

Echo de ce texte dans un carnet, qui renvoie lui-même à une lettre.

[Carnet 19 – note 21, 1899
Barbara. Une mère meurt à la naissance de son enfant – ils se frôlent lors de divers voyages (l’un embarque, l’autre accoste), semblent se saluer l’un l’autre – les seules fois où nous sommes confiants, au début et à la fin.(3)]


(1) Thème de la pièce Mary Rose.
(2) Troublante préfiguration de Mary Rose. Une scène similaire se produit dans la pièce.
(3) Cette note est presque identique à la lettre que Barrie écrivit à Sir Arthur Quiller-Couch, en date du 6 novembre 1899 :
«Que la mère doive mourir au moment même où l’enfant paraît enseigne, je pense, une grande leçon de sérénité. C’est comme s’ils se frôlaient pendant leurs voyages : quand l’un vient, l’autre part. Comment ne pas les entendre se saluer ? La naissance et la mort sont les voyages au sujet desquels nous sommes les plus confiants ; nous ne le sommes jamais autant dans l’intervalle ; tout semble si facile au début et à la fin. »





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Brigadoon de Vincente Minnelli

Féerie à nulle autre pareille, ce film de Minnelli emprunte certains de ses traits à James Matthew Barrie et en particulier à sa pièce, Mary Rose. Qui s'en souvient encore ? Il y aussi le nom du personnage : Tommy ou encore l'idée de la bruyère blanche, qui à mon sens ne sont pas de simples coïncidences...

Lire ceci, pour savoir d'où provient la bruyère blanche selon le très romantique Barrie qui met en scène Bonnie Prince Charlie et donne à saisir à travers Julie Logan une émanation de Flora MacDonald - à peine entre les lignes :

À une occasion, ils dirent : « La Personne Qui Était Avec Lui », comme s’il n’était pas prudent d’en dire davantage. « Lui » était l’Étranger qui passait, aux yeux du pauvre d’esprit, comme le Chevalier en personne. On dit de lui qu’il a séjourné dans le glen pendant un moment au cours du mois de juillet, fiévreux et si harassé qu’aucun ami n’osa se rapprocher de lui avec de la nourriture de crainte qu’il ne fût capturé. Je n’ai pas vu cette cachette, mais le docteur m’a dit qu’elle existe encore et n’est rien d’autre qu’un repaire, niché sous ce que nous appelons un abri, un refuge pour les moutons. À l’origine, c’était probablement l’embouchure du terrier d’un renard, élargi à coup de dague. S’il a jamais existé, le repaire a depuis longtemps été comblé avec des pierres, qui sont tout ce qui rappelle la résidence royale.
Les moutons s’abritent à nouveau dans ce refuge, mais il n’y en avait aucun au temps du Prince, s’il vint jamais ici. Pas plus, si l’on se fie aux histoires, que l’on ne pouvait lui apporter de la nourriture. Dans ces conditions, il avait été sauvé par la mystérieuse Personne Qui Était Avec Lui.
Bien sûr, la légende veut qu’elle fût jeune et belle , de haute naissance, l’aimant beaucoup. Elle le nourrit avec l’aide involontaire des aigles. La Roche aux Aigles, qui n’est pas loin de l’abri, est une masse imposante, que les ghillies prétendent inaccessible à un homme qui entreprendrait de l’escalader - à cause de ce que l’on appelle la Pierre de Logan. Aucun aigle ne fait son nid ici de nos jours ; ils sont tombés sous les balles de leur ennemi moderne, les garde-chasses, qui jurent qu’un couple d’aigles ramènera une centaine de tétras, ou plus, à leur nid, afin de nourrir leurs petits.
À cette époque, il y avait un nid d’aigles au sommet du rocher. L’escalade est périlleuse, mais de nos jours les gens robustes peuvent monter jusqu’à la Pierre de Logan, d’où ils font ensuite marche arrière. Il y a des pierres de Logan, m’a-t-on dit, tout autour du monde et ce sont des pierres qui se balancent. On dit qu’il est possible de les voir se balancer dans le vent et, pourtant, elles sont là depuis des siècles. Un tel monstre se tient au sommet de notre Roche aux Aigles et vous ne pouvez atteindre le sommet sauf en l’escaladant mais vous pouvez sauter. Par deux fois des hommes du glen ont sauté et elle les a rejetés. Néanmoins, l’histoire veut que cette Personne Qui Était Avec Lui se soit faufilée à travers le noir, entre les chercheurs, et ait atteint le sommet par le chemin de la pierre de Logan. Puis, après quelques bagarres avec les aigles pour le gain de leurs possessions, elle aurait ramené en bas quelques jeunes tétras pour son seigneur.
Au dire de tous, il s’agissait d’une jeune fille et, dans le glen, la bruyère blanche est le symbole de son ancienne présence. Avant sa venue, de bruyère blanche on n'avait jamais vu le moindre brin, et elle est donc supposée - ceci n’a pas le moindre sens - être la trace de ses jolis pieds nus.
La bruyère blanche lui porta peu chance. Dans cette fuite rapide et peut-être ensanglantée, elle fut laissée en arrière. Rien de plus ne circula à son sujet, excepté que, lorsque son seigneur et maître embarqua pour la France, il demanda à ses highlanders « de la nourrir et de l’honorer comme elle l’avait nourri et honoré. » Ils furent loyaux bien que malavisés et j’ose croire qu’ils auraient accompli cette tâche s’ils l’avaient pu. Certains pensent qu’elle est dans l’abri, dans le trou sous les pierres, et qu’elle attend encore. Ils disent que, peut-être, il y eut une promesse.


Adieu Miss Julie Logan (la dernière histoire de Barrie, que j'ai également traduite et qui attend une publication...)
{ Trad. Céline-Albin Faivre - ne pas reproduire son mon consentement. }


Alan Jay Lerner a suffisamment expliqué comment Brigadoon est né de son admiration pour Barrie, et de son amour pour ses histoires écossaises.


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Barrie est allé aux Hébrides, décor de Mary Rose. Voir quelques photos avant leur départ : ici.

L'île de Mary Rose, où je me rendrai bientôt, qui a inspiré son histoire à Barrie.


Photographie d'Andrew Birkin


Île de Harris et le AMHUINNSUIDHE CASTLE, connu de J.M. Barrie lors de son séjour là-bas, puisqu'il en fut l'invité :





(Photographies empruntées à ce site-ci)


Vous pouvez également consulter mon JIACO, Les Roses de décembre, où j'ai écrit quelques billets sur les Hébrides.

TO BE CONTINUED... / A SUIVRE...

 


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